La Montagnette en feu : un désastre écologique de plus
La semaine dernière, le 14 juillet, sur la route pour aller chez des amis, j’ai assisté, terrifié et impuissant, à l’épais nuage d’incendie qui s’élevait au-dessus de la Montagnette. Dans les heures qui ont suivi, il a gagné en ampleur et s’est étalé jusqu’à Avignon, plongeant la ville dans une brume grise et charbonneuse et voilant le Soleil ardent. Le ciel était devenu menaçant. De la cendre tombait. L’ambiance était vraiment inquiétante.
De là où j’étais, à Villeneuve-lès-Avignon, en fin d’après-midi, en face de la cité du festival où les gens se pressaient, sur l’autre rive du Rhône, on voyait le nuage noircir encore et encore et s’étendre jusqu’à nous. Tentaculaire, il envahissait le ciel d’un bleu azur, le souiller et plonger la ville et ses environs dans un climat étrange d’apocalypse. Le Soleil, déclinant vers le nord-ouest, était devenu rouge. La ville n’était pas en feu, mais ses bâtiments emblématiques dessinant sa silhouette, comme une skyline, étaient plongés dans un nuage obscur alimenté par un feu vorace et violent. Des airs de fin du monde. Fort heureusement, les pompiers en lutte depuis des heures, appuyées par des hélicoptères et des Canadairs, sont parvenus à le fixer, du moins pour la nuit. Car le lendemain matin, le vent s’est de nouveau levé, ravivant avec lui des braises, levant des flammes qui se sont alors empressées de dévorer les pins d’Alep qui peuplent, si nombreux, le massif de la Montagnette. À nouveau, les pompiers ont réussi à le contenir et à limiter le désastre. Mais ce n’était pas terminé. Aujourd’hui, encore, de la fumée noire s’échappe de la forêt, s’allongeant en funeste nuage aux teintes noires et sépia, cendres et particules d’un écosystème détruit, tué par nous, les humains.
Plusieurs communes des alentours de la Montagnette, menacées par l’incendie déclenché vraisemblablement par les étincelles d’un train de marchandises mal entretenu qui empruntait la voie ferrée en bordure du relief, ont fait savoir qu’elles porteraient plainte contre la SNCF. Mais la compagnie ferroviaire est-elle vraiment la seule responsable ? Les étincelles ont mis le feu aux poudres, certes, et cela aurait pu être évité, mais la situation n’aurait pas été aussi destructrice, si la région n’était pas écrasée de chaleur depuis si longtemps, ni si asséchée — cela dure depuis des mois, bien avant le début de l’été. Cette sécheresse et les vagues de fortes chaleurs à répétition sont de notre faute. C’est le CO2 que l’humanité injecte massivement dans l’atmosphère depuis plus de deux siècles qui cause ces anomalies climatiques, c’est cela qui nous impose des phénomènes météorologiques extrêmes, et menace de facto les écosystèmes, et donc nous qui en dépendent. Nous sommes assis sur la branche que nous scions.
Des incendies à répétition
La situation en Gironde, dans les Landes, est en train de dégénérer, le feu profite de la canicule, des sols très secs, et dévore tout sur son passage, des milliers de pins, semant le chaos, les ténèbres, la destruction. Heureusement, il n’y a aucune victime humaine, mais des milliers d’arbres sont morts, des milliers d’animaux sont morts car ils n’ont pas réussi à fuir, des milliers plantes endémiques, etc. Ce sont des niches de biodiversité que nous tuons. Des sites où elles tentent de survivre, désormais partis en fumée.
Même horreur et tristesse pour la Montagnette, colline rocheuse où je me suis maintes fois promené, sur des sentiers secs, hiver comme été, dans une végétation parfois épaisse de pins d’Alep, parfois clairsemée, dégagée, habitée par des chênes fermes, des genévriers, du romarin torturé par le mistral, du thym, des iris, des chênes verts. Des maquis, témoignant d’une renaissance après les incendies violents qui avait tout dévasté, déjà, plusieurs années auparavant. La vie repartait doucement, lentement, et la voici de nouveau arrêtée, brisée, brulée. De nouvelles blessures noires, immenses parcourent les reliefs. « Ce n’est pas grave, disent certains, la vie repartira, une nouvelle forêt renaitra, et elle sera encore plus belle ! ». Oui, mais pas dans le contexte du réchauffement climatique. Cette forêt se relevait à son rythme du feu destructeur, mais la voici de nouveau reprise par les flammes. Tout ce qui essayait d’y revivre, de retrouver sa place, de profiter de la quiétude offerte par ces espaces — quand ils ne sont pas défoncés par des quads furieux — a été supprimé. Il y avait déjà pour les vivants habitants de cette forêt une souffrance avec la sécheresse, maintenant elle est complètement détruite. Les pluies torrentielles éventreront la terre noire à la fin de l’été, et des petites pluies d’automne feront renaître les végétaux qui auront le mieux résisté, par les racines ou leurs graines. Mais il faudra de longues années avant de retrouver une vraie forêt. Et combien de temps sera-t-elle épargnée par le feu ?
J’y ai fait des veillées il y a plusieurs années, dans un espace près de l’Abbaye de Frigolet, où tout était bien vert, on entendait le soir des oiseaux et d’autres créatures, des sangliers venaient parfois nous voir, et aujourd’hui tout cela est détruit. Sur les photos aériennes que j’ai pu voir, l’Abbaye a été épargnée, mais tout autour, ce n’est plus que désolation. Les grands pins élancés sculptés par le vent ont brulé, tout ce qui vivait là a brulé.
Avant les pins d’Alep qui ont colonisé avec véhémence tout ce territoire situé dans le prolongement des Alpilles, entre Avignon et Tarascon, il y avait des pâtures pour les moutons et les chèvres, et avant ces élevages abondants, il y avait une forêt de chêne, sans doute très ancienne. Tous ou presque ont fini dans la marine ou comme bois de chauffage. Et quand les troupeaux se sont faits plus rares, ce sont les pins, pressés de grandir, qui se sont installés et ont recouvert le relief, des pins hautement inflammables quand le vent s’y engouffre.
Le réchauffement climatique ne fait que commencer, nous n’en sommes qu’à l’apéro : c’est un avant-goût de ce qui nous attend en 2050, insistent les experts. Mais pourtant, je continue de voir de l’indifférence, du déni, de l’ignorance, du business as usual, et d’entendre de stupides complotistes climatosceptiques.